Textes Extrait du

"Dictionnaire Maçonnique"

de Roger RICHARD

Éditions DERVY

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LES BULLES DE

CLÉMENT XII

ET DE

LÉON XIII

 

Deux bulles retiennent particulièrement l'attention. Ce sont la première, édictée par Clément XII en 1738 et ensuite celle de Léon XIII. en 1884, suivie de l'instruction de la sainte inquisition romaine. Nous les reproduisons ci-dessous.

 

BULLE IN EMINENTI DE CLÉMENT XII.

Édictée le 28 avril 1738.

 

CONDAMNATION DE LA SOCIÉTÉ APPELÉE « LIBERI MURATORI » OU « FRANCS-MAÇONS », SOUS PEINE D'EXCOMMUNICATION ENCOURUE PAR LE SEUL FAIT DONT L'ABSOLUTION EST RÉSERVÉE AU SOUVERAIN PONTIFE, SI CE N'EST À L'ARTICLE DE LA MORT.

 

Clément XII, Évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à tous les fidèles, salut et bénédiction apostolique.

La divine Providence nous ayant placé, malgré notre indignité, dans la Chaire la plus élevée de l'Apostolat pour y veiller sans cesse à la sûreté du troupeau qui nous est confié, nous avons donné tous nos soins autant que le secours d'En Haut nous l'a permis et toute notre application à opposer au vice et à l'erreur une barrière qui en arrête le progrès, à conserver spécialement l'intégrité de la religion orthodoxe et à éloigner des fidèles, dans ces temps difficiles, tout ce qui pourrait être pour eux une occasion de trouble.

Nous avons appris, et le bruit public ne nous a pas permis d'en douter, qu'il s'était formé une certaine société, assemblée ou association, sous le nom de Francs-Maçons ou Liberi Muratori ou sous une appellation équivalente, suivant la diversité des langues, dans laquelle sont admises indifféremment des personnes de toute religion et de toute secte, qui, sous les dehors affectés d'une probité naturelle qu'on y exige et dont on se contente, se sont établies certaines lois, certains statuts qui les lient les uns aux autres et qui, en particulier, les obligent sous les plus graves peines, en vertu d'un serment porté sur les Saintes Écritures, de garder le secret inviolable sur tout ce qui se passe dans leurs assemblées.

Mais comme le crime se découvre lui-même, et que malgré les précautions qu'il prend pour se cacher, il se trahit par l'éclat qu'il ne peut arrêter, cette société, ces assemblées, sont devenues si suspectes aux fidèles, que tout homme de bien regarde aujourd'hui comme un signe peu équivoque de perversion, quiconque s'y fait adopter. Si leurs actions étaient irréprochables, ils ne se déroberaient pas avec tant de soin à la lumière. De là vient que depuis longtemps ces sociétés ont été sagement proscrites par la plupart des princes dans leurs États. Ils ont regardé ces sortes de gens comme ennemis de la sûreté publique.

Ayant donc mûrement réfléchi sur les grands maux qui naissent pour l'ordinaire de ces associations toujours nuisibles à la tranquillité de l'État et au salut des âmes et qui, à ce titre, ne peuvent s'accorder avec les lois civiles et canoniques ; instruit d'ailleurs par la parole de Dieu même, qu'en qualité de serviteur prudent et fidèle, choisi pour gouverner le troupeau du Seigneur, nous devons être continuellement en garde contre les gens de ce caractère, de peur qu'à l'exemple du voleur, ils ne percent la maison et que, comme autant de renards, ils ne se jettent et ne portent partout la désolation, c'est à dire qu'ils ne séduisent les simples et ne blessent en secret de leurs flèches les âmes innocentes.

Enfin voulant arrêter le cours de cette perversion et interdire une voie qui donnerait lieu de se laisser aller impunément à bien des iniquités et pour plusieurs autres raisons à nous connues, et qui sont également justes et bien fondées ; après en avoir délibéré avec nos vénérables frères les cardinaux de la Sainte Église romaine et de leurs avis et même aussi de notre propre mouvement et connaissance certaine, et de toute la plénitude de la jouissance apostolique, nous avons résolu de condamner et de défendre comme de fait, nous condamnons et défendons, par notre présente constitution et à perpétuité, les susdites sociétés, assemblées de Francs-Maçons ou désignées sous un autre nom quel qu'il soit.

C'est pourquoi nous défendons très expressément et en vertu de la sainte obéissance, à tous les fidèles, soit laïques, soit clercs séculiers ou réguliers, y compris ceux qui doivent être spécialement nommés, de quelque état, grade, condition, dignité et prééminence qu'ils soient, d'entrer pour quelque cause et sous quelque prétexte que ce soit dans les sociétés ci-dessus mentionnées de Francs-Maçons, de favoriser leur accroissement, de les recevoir ou cacher chez soi ou ailleurs, de s'y faire associer, d'y assister, de faciliter leurs assemblées, de leur fournir quoi que ce soit, de les aider de conseil, de leur prêter secours et faveurs en public ou en secret, d'agir directement ou indirectement par soi ou par autrui, d'exhorter, de solliciter, d'induire, d'engager quelqu'un à se faire adopter dans ces sociétés, à y assister, à les aider de quelque manière que ce puisse être, et à les fomenter ; nous leur ordonnons au contraire de s'interdire entièrement ces associations ou assemblées, sous peine d'excommunication qui sera encourue par le seul fait et sans autre déclaration par les contrevenants dont nous avons fait mention, de laquelle excommunication ils ne pourront être absous que par nous ou par le Souverain pontife pour lors régnant, si ce n'est à l'article de la mort.

Voulons de plus et ordonnons que les évêques, prélats, supérieurs et autres ordinaires des lieux, de même que les inquisiteurs, procèdent contre les contrevenants de quelque grade, condition, ordre, dignité et prééminence qu'ils soient ; qu'ils travaillent à les réprimer et qu'ils les punissent des peines qu'ils méritent à titre de gens très suspects d'hérésie.

À cet effet, nous donnons à tous et à chacun d'eux le pouvoir de les poursuivre et de les punir selon les voies de droit et d'avoir recours, s'il en est besoin au bras séculier.

Voulons aussi que les copies de la présente constitution aient la même force que l'original dès qu'elles seront munies de la suscription d'un notaire public et du sceau de quelque personne constituée en dignité ecclésiastique.

Que personne, au reste, ne soit assez téméraire pour oser attaquer ou contredire la présente déclaration, condamnation, défense et interdiction. Si quelqu'un portait jusqu'à ce point la hardiesse, qu'il sache qu'il encourra l'indignation de Dieu et de ses bienheureux apôtres saint Pierre et saint Paul.

Donné à Rome, à Sainte Marie Majeure, l'an depuis l'incarnation de Jésus Christ 1738, le 4 des calendes de mai, de notre pontificat le huitième.

 

 

A. Card. PRODATARIUS

Visa de Curia

N. ANTONELLUS

J. B. EUGENIUS

 

 

 

 

BULLE HUMANUM GENUS DE LÉON XIII,

Édictée le 20 avril 1884.

 

LETTRE ENCYCLIQUE

DE

NOTRE TRÈS SAINT PÈRE LE PAPE LÉON XIII

SUR

LA FRANC-MAÇONNERIE

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A nos Vénérables Frères, les Patriarches,

Primats, Archevêques et Évêques

de tout l'Univers catholique, en grâce et en communion

avec le Saint-Siège apostolique.

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LÉON XIII, PAPE

VÉNÉRABLES FRÈRES,

SALUT ET BÉNÉDICTION APOSTOLIQUE.

Depuis que, par la jalousie du démon, le genre humain s'est misérablement séparé de Dieu, auquel il était redevable de son appel à l'existence et des dons surnaturels, il s'est séparé en deux camps ennemis, lesquels ne cessent pas de combattre, l'un pour la vérité et pour la vertu, l'autre pour tout ce qui est contraire à la vertu et à la vérité. Le premier est le royaume de Dieu sur la terre, à savoir la véritable Église de Jésus-Christ, dont les membres, s'ils veulent lui appartenir du fond du cŠur et de manière à opérer leur salut, doivent nécessairement servir Dieu et son Fils unique de toute leur âme, de toute leur volonté. Le second est le royaume de Satan. Sous son empire et en sa puissance se trouvent tous ceux qui, suivant les funestes exemples de leur chef et de nos premiers parents, refusent d'obéir à la loi divine et multiplient leurs efforts, ici pour se passer de Dieu, là pour agir directement contre Dieu.

Ces deux royaumes, saint Augustin les a vus et décrit avec une grande perspicacité sous la forme de deux cités opposées l'une à l'autre, soit par les lois qui les régissent, soit par l'idéal qu'elles poursuivent : et avec un ingénieux laconisme, il a mis en relief dans les paroles suivantes le principe constructif de chacune d'elles ; Deux amours ont donné naissance à deux cités ; la cité terrestre procède de l'amour de soi porté jusqu'au mépris de Dieu ; la cité céleste procède de l'amour de Dieu jusqu'au mépris de soi. &endash; Dans toute la suite des siècles qui nous ont précédés, ces deux cités n'ont pas cessé de lutter l'une contre l'autre, en employant toutes sortes de tactiques et les armes les plus diverses, quoique non toujours avec la même ardeur ni avec la même impétuosité.

À notre époque, les fauteurs du mal paraissent s'être coalisés dans un immense effort, sous l'impulsion et avec l'aide d'une société répandue en un grand nombre de lieux et fortement organisés, la société des Francs-Maçons. Ceux-ci, en effet, ne prennent plus la peine de dissimuler leurs intentions, et ils rivalisent d'audace entre eux contre l'auguste majesté de Dieu. C'est publiquement, à ciel ouvert, qu'ils entreprennent de ruiner la sainte Église, afin d'arriver, si c'était possible, à dépouiller complètement les nations chrétiennes des bienfaits dont elles sont redevables au sauveur Jésus-Christ.

Gémissant à la vue de ces maux et sous l'impulsion de la charité, Nous Nous sentons souvent portés à crier vers Dieu : « Seigneur, voici que vos ennemis font un grand fracas. Ceux qui vous haïssent ont levé la tête. Ils ont ourdi contre votre peuple des complots pleins de malice, et ils ont résolu de perdre vos saints. Oui, ont-ils dit, venez et chassons-les du sein des nations. » (Psaume 83, 2-5).

Cependant, en un si puissant danger, en présence d'une attaque si cruelle et si opiniâtre livrée au christianisme, c'est notre devoir de signaler le péril, de dénoncer les adversaires, d'opposer toute la résistance possible à leurs projets et à leurs industries ; d'abord pour empêcher la perte éternelle des âmes dont le salut nous a été confié ; puis afin que le royaume de Jésus-Christ, que Nous sommes chargés de défendre, non seulement demeure debout et dans toute son intégrité, mais fasse par toute la terre de nouveaux progrès, de nouvelles conquêtes.

Dans leur vigilante sollicitude pour le salut du peuple chrétien, nos prédécesseurs eurent bien vite reconnu cet ennemi capital au moment où, sortant des ténèbres d'une conspiration occulte, il s'élançait à l'assaut en plein jour. Sachant ce qu'il était, ce qu'il voulait, et lisant pour ainsi dire dans l'avenir, ils donnèrent et aux peuples le signal d'alarme, et les mirent en garde contre les embûches et les artifices préparés pour les surprendre.

Le péril fut dénoncé pour la première fois par Clément XII (In Eminenti, 20 avril 1738) en 1738, et la Constitution promulguée par ce Pape fut renouvelée et confirmée par Benoît XIX (Providas 18 mai 1751). Pie VII (Ecclesiam 13 septembre 1821) marcha sur les traces de ces deux pontifes ; et Léon XII, renfermant dans sa constitution apostolique « Quo graviora » (13 mars 1825) tous les actes et décrets des précédents Papes sur cette matière, les ratifia et les confirma pour toujours. Pie VIII (Traditi 21 mai 1829), Grégoire XVI (Mirari 15 août 1832) et, à diverses reprises Pie IX (Qui pluribus 9 novembre 1846, etc.), ont parlé dans le même sens.

Le but fondamental et l'esprit de la secte maçonnique avaient été mis en pleine lumière par la manifestation évidente de ses agissements, la connaissance de ses principes, l'exposition de ses règles, de ses rites, et de leurs commentaires auxquels plus d'une fois s'étaient ajoutés les témoignages de ses propres adeptes. En présence de ces faits, il était tout simple que ce Siège apostolique dénonçât publiquement la secte des francs-maçons comme une association criminelle, non moins pernicieuse aux intérêts du christianisme qu'à ceux de la société civile. Il édicta contre elles les peines les plus graves dont l'Église a coutume de frapper les coupables, et interdit de s'y affilier.

Irrités de cette mesure, et espérant qu'ils pourraient, soit par le dédain, soit par la calomnie, échapper à ces condamnations ou en atténuer la force, les membres de la secte accusèrent les Papes qui les avaient portées, tantôt d'avoir rendu des sentences iniques, tantôt d'avoir excédé la mesure dans les peines infligées. C'est ainsi qu'ils s'efforcèrent d'éluder l'autorité ou de diminuer la valeur des Constitutions promulguées par Clément XII, Benoît XIV, Pie VII et Pie IX.

Toutefois, dans les rangs même de la secte, il ne manqua pas d'associés pour avouer, même malgré eux, que, étant données la doctrine et la discipline catholique, les Pontifes romains n'avaient rien fait que de très légitime. A cet aveu, il faut joindre l'assentiment explicite d'un certain nombre de princes ou de chefs d'États, qui eurent à cŠur, soit de dénoncer la société des francs-maçons au Siège apostolique, soit de la frapper eux-mêmes comme dangereuse, en portant des lois contre elles, ainsi que cela s'est pratiqué en Hollande, en Autriche, en Suisse, en Espagne, en Bavière, en Savoie et dans d'autres parties de l'Italie.

Il importe souverainement de faire remarquer combien les événements donnèrent raison à la sagesse de Nos prédécesseurs. Leurs prévoyantes et paternelles sollicitudes n'eurent pas partout ni toujours le succès désirable ; ce qu'il faut attribuer, soit à la dissimulation et à l'astuce des hommes engagés dans cette secte pernicieuse, soit à l'imprudente légèreté de ceux qui auraient eu cependant l'intérêt le plus direct à la surveiller attentivement. Il en est résulté que, dans l'espace d'un siècle et demi, la secte des francs-maçons a fait d'incroyables progrès. Employant à la fois l'audace et la ruse, elle a envahi tous les rangs de la hiérarchie sociale et commence à prendre au sein des États modernes, une puissance qui équivaut presque à la souveraineté. De cette rapide et formidable extension sont précisément résultés pour l'Église, pour l'autorité des princes, pour le salut public, les maux que Nos prédécesseurs avaient depuis longtemps prévus. On en est venu à ce point qu'il y a lieu de concevoir pour l'avenir les craintes les plus sérieuses : non certes en ce qui concerne l'Église, dont les solides fondements ne sauraient être ébranlés par les efforts des hommes, mais par rapport à la sécurité des États, au sein desquels sont devenues trop puissantes ou cette secte de la Franc-Maçonnerie ou d'autres associations similaires qui se font ses coopératrices et ses satellites.

Pour ces motifs, à peine avions Nous mis la main au gouvernail de l'Église que Nous avons clairement senti la nécessité de résister à un si grand mal et de dresser contre lui, autant qu'il serait possible, Notre autorité apostolique.

Aussi, profitant de toutes les occasions favorables, Nous avons traité les principales thèses doctrinales sur lesquelles les opinions perverses de la secte maçonnique semblent avoir exercé la plus grande influence. C'est ainsi que, dans Notre encyclique « Quod apostolici muneris », Nous Nous sommes efforcés de combattre les monstrueux systèmes des socialistes et des communistes. Notre autre encyclique « Arcanum » Nous a permis de mettre en lumière et de défendre la notion véritable et authentique de la société domestique, dont le mariage est l'origine et la source. Dans l'encyclique « Diuturnum », Nous avons fait connaître, d'après les principes de la sagesse chrétienne, l'essence du pouvoir politique et montré ses admirables harmonies avec l'ordre naturel, aussi bien qu'avec le salut des peuples et des princes.

Aujourd'hui, à l'exemple de Nos prédécesseurs, Nous avons résolu de fixer directement notre attention sur la société maçonnique, sur l'ensemble de sa doctrine, sur ses projets, ses sentiments et ses actes traditionnels, afin de mettre en une plus éclatante évidence sa puissance pour le mal, et d'arrêter dans ses progrès la contagion de ce funeste fléau.

Il existe dans le monde un certain nombre de sectes qui, bien qu'elles diffèrent les unes des autres par le nom, les rites, la forme, l'origine, se ressemblent et sont d'accord entre elles par l'analogie du but et des principes essentiels. En fait, elles sont identiques à la Franc-Maçonnerie, qui est pour toutes les autres comme le point central d'où elles procèdent et où elles aboutissent. Et, bien qu'à présent elles aient l'apparence de ne pas aimer à demeurer cachées, bien qu'elles tiennent des réunions en plein jour et sous les yeux de tous, bien qu'elles publient leurs journaux, toutefois, si l'on va au fond des choses, on peut voir qu'elles appartiennent à la famille des sociétés clandestines et qu'elles en gardent les allures.

Il y a, en effet, chez elles, des espèces de mystères que leur constitution interdit avec le plus grand soin de divulguer, non seulement aux personnes du dehors, mais même à bon nombre de leurs adeptes.

A cette catégorie appartiennent les conseils intimes et suprêmes, les noms des chefs principaux, certaines réunions plus occultes et intérieures : ainsi que les décisions prises, avec les moyens et les agents d'exécution. A cette loi du secret concourent merveilleusement : la division faite entre les associés des droits, des offices et des charges, la distinction hiérarchique, savamment organisée, des ordres et des degrés, et la discipline sévère à laquelle tous sont soumis. La plupart du temps, ceux qui sollicitent l'initiation doivent promettre, bien plus, ils doivent faire le serment solennel de ne jamais révéler à personne, à aucun moment, d'aucune manière, les noms des associés, les notes caractéristiques et les doctrines de la société. C'est ainsi que sous des apparences mensongères, et en faisant de la dissimulation une règle constante de conduite, comme autrefois les manichéens, les francs-maçons n'épargnent aucun effort pour se cacher et n'avoir d'autres témoins que leurs complices.

Leur grand intérêt étant de ne pas paraître ce qu'ils sont, ils jouent le personnage d'amis des lettres ou de philosophes, réunis ensemble pour cultiver les sciences. Ils ne parlent que de leur zèle pour le progrès de la civilisation, de leur amour pour le pauvre peuple. A les en croire, leur seul but est d'améliorer le sort de la multitude et d'étendre à un plus grand nombre d'hommes les avantages de la société civile. Mais à supposer que ces intentions fussent sincères, elles seraient loin d'épuiser tous leurs desseins. En effet, ceux qui sont affiliés doivent promettre d'obéir aveuglément et sans discussions aux injonctions des chefs : de se tenir prêts, sur la moindre notification, sur le plus léger signe, à exécuter les ordres donnés, se vouant d'avance, en cas contraire, aux traitements les plus rigoureux, et même à la mort. De fait, il n'est pas rare que la peine du dernier supplice soit infligée à ceux d'entre eux qui sont convaincus, soit d'avoir livré la discipline secrète de la société, soit d'avoir résisté aux ordres des chefs : et cela se pratique avec une telle dextérité que, la plupart du temps, l'exécuteur de ces sentences de mort échappe à la justice, établie pour veiller sur les crimes et pour en tirer vengeance.

Or, vivre dans la dissimulation et vouloir être enveloppé de ténèbres ; enchaîner à soi par les liens les plus étroits, et sans leur avoir préalablement fait connaître à quoi ils s'engagent, des hommes réduits ainsi à l'état d'esclaves ; employer à toutes sortes d'attentats ces instruments passifs d'une volonté étrangère ; armer pour le meurtre, des mains à l'aide desquelles on assure l'impunité du crime : ce sont là de monstrueuses pratiques condamnées par ma nature elle-même. La raison et la vérité suffisent donc à prouver que la société dont nous parlons et en opposition formelle avec la justice et la morale naturelle.

D'autres preuves, d'une grande clarté s'ajoutent aux précédentes et font encore mieux voir combien, par sa constitution essentielle, cette association répugne à l'honnêteté. Si grandes, en effet, que puisent être, parmi les hommes, l'astucieuse habileté de la dissimulation et l'habitude du mensonge, il est impossible qu'une cause, quelle qu'elle soit, ne se trahisse pas par les effets qu'elle produit : « Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, et un mauvais n'en peut porter de bons » (Mathieu 7, 18).

Or, les fruits produits par la secte maçonnique sont pernicieux et des plus amers. Voici, en effet, ce qui résulte de ce que nous avons précédemment indiqué, et cette conclusion nous livre le dernier mot de ses desseins. Il s'agit pour les francs-maçons &endash; et tous leurs efforts tendent à ce but &endash; il s'agit de détruire de fond en comble toute la discipline religieuse et sociale qui est née des institutions chrétiennes, et de lui en substituer une nouvelle, façonnée à leurs idées, et dont les principes fondamentaux et les lois sont empruntés au naturalisme.

Tout ce que nous venons de dire ou ce que nous nous proposons de dire doit être entendu de la secte maçonnique envisagée dans son ensemble, en tant qu'elle embrasse d'autres sociétés qui sont pour elle des sŠurs et des alliées. Nous ne prétendons pas appliquer toutes ces réflexions à chacun de leurs membres, pris individuellement. Parmi eux, en effet, il peut s'en trouver, et même en bon nombre, qui bien que non exempts de faute pour s'être affiliés à de semblables sociétés, ne trempent cependant pas dans leurs actes criminels et ignorent le but final que ces sociétés s'efforcent d'atteindre. De même encore, il peut se faire que quelques-uns uns des groupes n'approuvent pas les conclusions extrêmes auxquelles la logique devrait les contraindre d'adhérer, puisqu'elles découlent nécessairement des principes communs à toute l'association. Mais le mal porte avec lui une turpitude qui, d'elle-même, repousse et effraie. En outre, si des circonstances particulières de temps ou des lieux peuvent persuader à certaines fractions de demeurer en deçà de ce qu'elles souhaitent de faire ou de ce que font d'autres associations, il ne faut pas conclure pour cela que ces groupes sont étrangers au pacte fondamental de la Maçonnerie. Ce pacte demande à être apprécié, moins par les actes accomplis et par leurs résultats, que par l'esprit qui l'anime et par ses principes généraux.

Or, le premier principe des naturalistes, c'est qu'en toutes choses, la nature ou la raison humaine doit être maîtresse ou souveraine. Cela posé, s'il s'agit des devoirs envers Dieu ou bien ils en font peu de cas ou ils en altèrent l'essence par des opinions vagues et des sentiments erronés. Ils nient que Dieu soit l'auteur d'aucune révélation. Pour eux, en dehors de ce que peut comprendre la raison humaine, il n'y a ni dogme religieux, ni vérité, ni maître en la parole de qui, au nom de son mandat officiel d'enseignement, on doive avoir foi. Or, comme la mission tout à fait propre et spéciale de l'Église catholique consiste à recevoir dans leur plénitude et à garder dans une pureté incorruptible les doctrines révélées de Dieu, aussi bien que l'autorité établie pour les enseigner avec les autres secours donnés du Ciel en vue de sauver les hommes, c'est contre elle que les adversaires déploient le plus d'acharnement et dirigent leurs plus violentes attaques.

Maintenant, qu'on voie à l'Šuvre la secte des francs-maçons dans les choses qui touchent à la religion, là principalement où son action peut s'exercer avec une liberté plus licencieuse : et que l'on dise si elle ne semble pas s'être donnée pour mandat de mettre à l'exécution les décrets des naturalistes.

Ainsi, dut-il lui en coûter un long et opiniâtre labeur, elle se propose de réduire à rien, au sein de la société civile, le magistère et l'autorité de l'Église ; d'où cette conséquence que les francs-maçons s'appliquent à vulgariser et pour laquelle ils ne cessent pas de combattre, à savoir qu'il faut absolument séparer l'Église de l'État. Par suite, ils excluent des lois aussi bien que de l'administration de la chose publique la très salutaire influence de la religion catholique, et ils aboutissent logiquement à la prétention de constituer l'État tout entier en dehors des institutions et des préceptes de l'Église.

Mais il ne leur suffit pas d'exclure de toute participation au gouvernement des affaires humaines l'Église, ce guide si sage et sûr ; il faut encore qu'ils la traitent en ennemie et usent de violences contre elle. De là l'impunité avec laquelle, par la parole, par la plume, par l'enseignement, il est permis de s'attaquer aux fondements mêmes de la religion catholique. Ni les droits de l'Église, ni les prérogatives dont la Providence l'avait dotée : rien n'échappe à leurs attaques. On réduit presque à rien sa liberté d'action et cela par des lois qui en apparence ne semblent pas trop oppressives, mais qui, en réalité, sont expressément faites pour enchaîner cette liberté. Au nombre des lois exceptionnellement faites contre le clergé, Nous signalerons particulièrement celles qui auraient pour résultat de diminuer notablement le nombre de ministres du sanctuaire, et de réduire toujours davantage leurs moyens indispensables d'action et d'existence. Les restes des biens ecclésiastiques, soumis à mille servitudes, sont placés sous la dépendance et le bon plaisir d'administrateurs civils. Les communautés religieuses sont supprimées ou dispersées.

Á l'égard du Siège apostolique et du Pontife romain, l'inimitié de ces sectaires a redoublé d'intensité. Après avoir, sous de faux prétextes, dépouillé le Pape de sa souveraineté temporelle, nécessaire garantie de sa liberté et de ses droits, ils l'ont réduit à une situation à la fois unique et intolérable, jusqu'à ce qu'enfin, en ces derniers temps, les fauteurs de ces sectes en soient arrivés au point qui était dès longtemps le but de leurs secrets desseins : à savoir, de proclamer que le moment est venu de supprimer la puissance sacrée des Pontifes romains et de détruire entièrement cette Papauté qui est d'institution divine. Pour mettre hors de doute l'existence d'un tel plan, à défaut d'autres preuves, il suffirait d'invoquer le témoignage d'hommes qui ont appartenu à la secte, et dont la plupart, soit dans le passé, soit à une époque plus récente, ont attesté comme certaine la volonté où sont les francs-maçons de poursuivre le catholicisme d'une inimitié exclusive et implacable, avec une ferme résolution de ne s'arrêter qu'après avoir ruiné de fond en comble toutes les institutions religieuses établies par les Papes.

Que si tous les membres de la secte ne sont pas obligés d'abjurer explicitement le catholicisme, cette exception, loin de nuire au plan général de la Franc-Maçonnerie, sert plutôt ses intérêts. Elle lui permet d'abord de tromper plus facilement les personnes simples et sans défiance, et elle rend accessible à un plus grand nombre l'admission dans la secte. De plus, en ouvrant leurs rangs à des adeptes qui viennent à eux des religions les plus diverses, ils deviennent plus capables d'accréditer la grande erreur du temps présent, laquelle consiste à reléguer au rang des choses indifférentes le souci de la religion, et à mettre sur le pied de l'égalité toutes les formes religieuses. Or, à lui seul, ce principe suffit à ruiner toute la religion catholique, car, étant la seule véritable, elle ne peut, sans subir la dernière des injures et des injustices, tolérer que les autres religions lui soient égalées.

Les naturalistes vont encore plus loin. Audacieusement engagés dans la voie de l'erreur sur les plus importantes questions, ils sont entraînés et comme précipités par la logique jusqu'aux conséquences les plus extrêmes de leurs principes, soit à cause de la faiblesse de la nature humaine, soit par le juste châtiment dont Dieu frappe leur orgueil. Il suit de là qu'ils ne gardent même plus dans leur intégrité et dans leur certitude les vérités accessibles à la seule lumière de la raison naturelle, telles que sont assurément l'existence de Dieu, la spiritualité et l'immortalité de l'âme. Emportée dans une nouvelle carrière d'erreurs, la secte des francs-maçons n'a pas échappé à ces écueils. En effet, bien que, prise dans son ensemble, la secte fasse profession de croire à l'existence de Dieu, le témoignage de ses propres membres établit que cette croyance n'est pas, pour chacun d'eux individuellement, l'objet d'un assentiment ferme et d'une inébranlable certitude. Ils ne dissimulent pas que la question de Dieu est parmi eux une cause de grands dissentiments. Il est même avéré qu'il y a peu de temps, une sérieuse controverse s'est engagée entre eux à ce sujet. En fait, la secte laisse aux initiés liberté entière de se prononcer en tel ou tel sens, soit pour affirmer l'existence de Dieu, soit pour la nier : et ceux qui nient résolument ce dogme sont aussi facilement reçus à l'initiation que ceux qui, d'une certaine façon, l'admettent encore, mais en le dénaturant, comme les panthéistes, dont l'erreur consiste précisément, tout en retenant de l'Être divin on ne sait quelles absurdes apparences, à faire disparaître ce qu'il y a d'essentiel dans la vérité de son existence.

Or, quand ce fondement nécessaire est détruit ou seulement ébranlé, il va de soi que les autres principes de l'ordre naturel chancellent dans la raison humaine et qu'elle ne sait plus à quoi s'en tenir, ni sur la création du monde par un acte libre et souverain du Créateur, ni sur le gouvernement de la Providence, ni sur la survivance de l'âme et la réalité d'une vie future et immortelle succédant à la vie présente. L'effondrement des vérités qui sont la base de l'ordre naturel et qui importent si fort à la conduite rationnelle et pratique de la vie, aura un contre coup sur les mŠurs privées et publiques. &endash; Passons sous silence ces vertus surnaturelles que, à moins d'un don spécial de Dieu, personne ne peut ni pratiquer, ni acquérir ; vertus dont il est impossible de trouver aucune trace chez ceux qui font profession d'ignorer dédaigneusement la Rédemption du genre humain, la grâce, les sacrements, le bonheur futur à conquérir dans le ciel. Nous parlons simplement des devoirs qui résultent des principes de l'honnêteté naturelle.

Un Dieu qui a crée le monde et le gouverne par sa Providence ; une loi éternelle dont les prescriptions ordonnent de respecter l'ordre de la nature et défendent de le troubler, une fin dernière placée pour l'âme dans une région supérieure aux choses humaines, et au-delà de cette hôtellerie terrestre ; voilà les sources, voilà les principes de toute justice et honnêteté. Faites-les disparaître (c'est la prétention des naturalistes et des francs-maçons), et il sera impossible de savoir en quoi consiste la science du juste et de l'injuste ou sur quoi elle s'appuie. Quant à la morale, la seule chose qui ait trouvé grâce devant les membres de la secte maçonnique et dans laquelle ils veulent que la jeunesse soit instruite avec soin, c'est celle qu'ils appellent " morale civique" &endash; "morale indépendante" &endash; "morale libre" &endash; en d'autres termes, morale qui ne fait aucune place aux idées religieuses.

Or, combien une telle morale est insuffisante, jusqu'à quel point elle manque de solidité et fléchit sous le souffle des passions, on peut le voir assez par les tristes résultats qu'elle a déjà donnés. Là, en effet, où, après avoir pris la place de la morale chrétienne, elle a commencé à régner avec plus de liberté, on a vu promptement dépérir la probité et l'intégrité des mŠurs, grandir et se fortifier les opinions les plus monstrueuses et l'audace des crimes partout déborder. Ces maux provoquent aujourd'hui des plaintes et des lamentations universelles, auxquelles font parfois écho bon nombre de ceux-là mêmes qui, bien malgré eux, sont contraints de rendre hommage à l'évidence de la vérité.

En outre, la nature humaine ayant été viciée par le péché originel et, à cause de cela, étant devenue beaucoup plus disposée au vice qu'à la vertu, l'honnêteté est absolument impossible si les mouvements désordonnés de l'âme ne sont pas réprimés et si les appétits n'obéissent pas à la raison. Dans ce conflit, il faut souvent mépriser les intérêts terrestres et se résoudre aux plus durs travaux et à la souffrance, pour que la raison victorieuse demeure en possession de sa principauté. Mais les naturalistes et les francs-maçons, n'ajoutant aucune foi à la révélation que nous tenons de Dieu, nient que le père du genre humain ait péché, et par conséquent que les forces du libre arbitre soient d'aucune façon "débilitées ou inclinées vers le mal". Tout au contraire, ils exagèrent la puissance et l'excellence de la nature, et, mettant uniquement en elle le principe et la règle de la justice, ils ne peuvent même pas concevoir la nécessité de faire de constants efforts et de déployer un très grand courage pour comprimer les révoltes de la nature et pour imposer silence à ses appétits.

Aussi voyons-nous multiplier et mettre à la portée de tous les hommes tout ce qui peut flatter leurs passions. Journaux et brochures d'où la réserve et la pudeur sont bannies, représentations théâtrales dont la licence passe les bornes, Šuvres artistiques ou s'étalent, avec un cynisme révoltant, les principes de ce qu'on appelle aujourd'hui le réalisme ; inventions ingénieuses destinées à augmenter les délicatesses et les jouissances de la vie ; en un mot, tout est mis en Šuvre pour satisfaire l'amour du plaisir, avec lequel finit par se mettre d'accord la vertu endormie.

Assurément ceux-là sont coupables, mais en même temps ils sont conséquents avec eux-mêmes, qui, supprimant l'espérance des biens futurs, abaissent la félicité au niveau des choses périssables, plus bas même que les horizons terrestres. A l'appui de ces assertions, il serait facile de produire des faits certains, bien qu'en apparence incroyables. Personne, en effet, n'obéissant avec autant de servilité à ces habiles et rusés personnages que ceux dont le courage s'est énervé et brisé dans l'esclavage des passions, il s'est trouvé dans la Franc-Maçonnerie des sectaires pour soutenir qu'il fallait systématiquement employer tous les moyens de saturer la multitude de licence et de vices, bien assurés qu'à ces conditions elle serait tout entière entre leurs mains et pourrait servir d'instrument à l'accomplissement de leurs projets les plus audacieux.

Relativement à la société domestique, voici à quoi se résume l'enseignement des naturalistes. Le mariage n'est qu'une variété de l'espèce des contrats : il peut donc être légitimement dissous à la volonté des contractants. Les chefs de gouvernement ont puissance sur le lien conjugal. Dans l'éducation des enfants, il n'y a rien à leur enseigner méthodiquement ni à leur prescrire en fait de religion. C'est affaire à chacun d'eux, lorsqu'ils seront en âge, de choisir la religion qui leur plaira. Or, non seulement les francs-maçons adhèrent complètement à ces principes, mais ils s'appliquent à les faire passer dans les mŠurs et les institutions. Déjà dans beaucoup de pays, même catholiques, il est établi qu'en dehors du mariage civil il n'y a pas d'union légitime. Ailleurs la loi autorise le divorce, que d'autres peuples s'apprêtent à introduire dans leur législation le plus tôt possible. Toutes ces mesures hâtent la réalisation prochaine du projet de changer l'essence du mariage et de la réduire à n'être plus qu'une union instable, éphémère, née du caprice d'un instant et pouvant être dissoute quand ce caprice changera.

La secte concentre aussi toutes ses énergies et tous ses efforts pour s'emparer de l'éducation de la jeunesse. Les francs-maçons espèrent qu'ils pourront aisément former d'après leurs idées cet âge si tendre, et en plier la flexibilité ans le sens qu'ils voudront, rien ne devant être plus efficace pour préparer à la société civile une race de citoyens telle qu'ils rêvent de la lui donner. C'est pour cela que dans l'éducation et dans l'instruction des enfants, ils ne veulent tolérer les ministres de l'Église ni comme professeurs, ni comme surveillants. Déjà, dans plusieurs pays, ils ont réussi à faire confier exclusivement à des laïques l'éducation de la jeunesse, aussi bien qu'à proscrire totalement de l'enseignement de la morale les grands et saints devoirs qui unissent l'homme à Dieu.

Viennent ensuite les dogmes de la science politique. Voici quelles sont en cette matière les thèses des naturalistes. Les hommes sont égaux en droits : tous, et à tous les points de vue, sont d'égale condition. Étant tous libres par nature, aucun d'eux n'a le droit de commander à ses semblables, et c'est faire violence aux hommes que de prétendre les soumettre à une autorité quelconque, à moins que cette autorité ne procède d'eux-mêmes. Tout pouvoir est dans le peuple libre : ceux qui exercent le commandement n'en sont les détenteurs que par le mandat ou par la concession du peuple, de telle sorte que si la volonté populaire change, il faut dépouiller de leur autorité les chefs de l'État, même malgré eux. La source de tous les droits et de toutes les fonctions civiles réside soit dans la multitude, soit dans le pouvoir qui régit l'État, mais quand il a été constitué d'après les nouveaux principes. En outre, l'État doit être athée. Il ne trouve en effet dans les diverses formes religieuses aucune raison de préférer l'une à l'autre : donc toutes doivent être mises sur un pied d'égalité.

Or, que ces doctrines soient professées par les francs-maçons, quel que soit pour eux l'idéal d'après lequel ils entendent constituer les sociétés : cela est presque trop évident pour devoir être prouvé. Il y a déjà longtemps qu'ils travaillent à le réaliser, en y employant toutes leurs forces et toutes leurs ressources. Ils frayent ainsi le chemin à d'autres sectaires nombreux et plus audacieux, qui se tiennent prêts à tirer de ces faux principes des conclusions encore plus détestables, à savoir le partage égal et la communauté des biens entre les citoyens, après que toute distinction de rang et de fortune aura été supprimée.

Les faits que Nous venons de résumer mettent en une lumière suffisante la constitution intime des francs-maçons et montrent clairement par quelle route ils s'acheminent vers leur but. Leurs dogmes principaux sont en si complet et si manifeste désaccord avec la raison, qu'il ne se peut imaginer rien de plus pervers. En effet, vouloir détruire la religion et l'Église établies par Dieu lui-même et assurées par lui d'une perpétuelle protection, pour ramener parmi nous, après dix-huit siècles, les mŠurs et les institutions des païens, n'est-ce pas le comble de la folie et de la plus audacieuse impiété ? Mais ce qui n'est ni moins horrible ni plus supportable, c'est de voir répudier les bienfaits miséricordieusement acquis par Jésus Christ, d'abord aux individus, puis aux hommes groupés en famille et en nations ; bienfaits qui, au témoignage des ennemis même du christianisme, sont du plus haut prix. Certes, dans un plan si insensé et si criminel, il est bien permis de reconnaître la haine implacable dont Satan est animé à l'égard de Jésus Christ et sa passion de vengeance.

L'autre dessein, à la réalisation duquel les francs-maçons emploient tous leurs efforts, consiste à détruire les fondements principaux de la justice et de l'honnêteté. Par là, ils se font les auxiliaires de ceux qui voudraient qu'à l'instar de l'animal l'homme n'eût d'autre régler d'action que ses désirs. Ce dessein ne va rien moins qu'à déshonorer le genre humain et à le précipiter ignominieusement à sa perte. &endash; Le mal s'augmente de tous les périls qui menacent la société domestique et la société civile. Ainsi que nous l'avons exposé ailleurs, tous les peuples, tous les siècles s'accordent à reconnaître dans le mariage quelque chose de sacré et de religieux, et la loi divine a pourvu à ce que les unions conjugales ne puissent être dissoutes. Mais si elles deviennent purement profanes : s'il est permis de les rompre au gré des contractants, aussitôt la constitution de la famille sera en proie au trouble et à la confusion : les femmes seront découronnées de leur dignité : toute protection et toute sécurité disparaîtront pour les enfants et leurs intérêts. Quant à la prétention de faire l'État complètement étranger à la religion et pouvant administrer les affaires publiques sans tenir plus de compte de Dieu que s'il n'existait pas : c'est une témérité sans exemple, même chez les païens. Ils portaient si profondément gravée au plus intime de leurs âmes non seulement une idée vague des dieux, mais la nécessité sociale de la religion, qu'à leur sens il eût plus aisé à une ville de se tenir debout sans être appuyée au sol que privée de Dieu. De fait, la société du genre humain, pour laquelle la nature nous a crées, a été constituée par Dieu, auteur de la nature. De lui, comme principe et comme source, découlent dans leur force et leur pérennité les bienfaits innombrables dont elle nous enrichit. Aussi, de même que la voix de la nature rappelle à chaque homme en particulier l'obligation où il est d'offrir à Dieu le culte d'une pieuse reconnaissance, parce que c'est à Lui que nous sommes redevables de la vie et des biens qui l'accompagnent, un devoir semblable s'impose aux peuples et aux sociétés.

De là résulte avec la dernière évidence que ceux qui veulent briser toute la relation entre la société civile et les devoirs de la religion ne commettent pas seulement une injustice, mais, par leur conduite, prouvent leur ignorance et leur ineptie. En effet, c'est par la volonté de Dieu que les hommes naissent pour être réunis et pour vivre en société : l'autorité est le lien nécessaire au maintien de la société civile, de telle sorte que, lui brisé, elle se dissout fatalement et immédiatement. L'autorité a donc pour auteur le même Être qui a crée la société. Aussi, quel que soit celui entre les mains de qui le pouvoir réside, celui-là et le ministre de Dieu. Par conséquent, dans la mesure où l'exigent la fin et la nature de la société humaine, il faut obéir au pouvoir légitime commandant des choses justes, comme à l'autorité même de Dieu qui gouverne tout : et rien n'est plus contraire à la vérité que de soutenir qu'il dépend de la volonté du peuple de refuser cette obéissance quand il lui plaît.

De même, si l'on considère que tous les hommes sont de même race et de même nature et qu'ils doivent tous atteindre la même fin dernière, et si l'on regarde aux devoirs et aux droits qui découlent de cette communauté d'origine et de destinée, il n'est pas douteux qu'ils ne soient tous égaux. Mais, comme ils n'ont pas tous les mêmes ressources d'intelligence et qu'ils diffèrent les uns des autres, soit par les facultés de l'esprit, soit par les énergies physiques ; comme enfin il existe entre eux mille distinctions de mŠurs, de goûts, de caractères, rien ne répugne tant à la raison que de prétendre les ramener tous à la même mesure et d'introduire dans les institutions de la vie civile une égalité rigoureuse et mathématique. De même, en effet, que la parfaite constitution du corps humain résulte de l'union et de l'assemblage des membres qui n'ont ni les mêmes formes ni les mêmes fonctions, mais dont l'heureuse association et le concours harmonieux donnent à tout l'organisme sa beauté plastique, sa force et son aptitude à rendre les services nécessaires, de même, au sein de la société humaine se trouve une variété presque infinie de parties dissemblables. Si elles étaient toutes égales entre elles et libres, chacune pour son compte, d'agir à leur guise, rien ne serait plus difforme qu'une telle société. Si, au contraire, par une sage hiérarchie des mérites, des goûts, des aptitudes, chacune d'elles concourt au bien général, vous voyez se dresser devant vous l'image d'une société bien ordonnée et conforme à la nature.

Les malfaisantes erreurs que Nous venons de rappeler menacent les États des dangers les plus redoutables. En effet, supprimez la crainte de Dieu et le respect dû à ses lois : laissez tomber en discrédit l'autorité des princes ; donnez libre carrière et encouragement à la manie des révolutions ; lâchez la bride aux passions populaires ; brisez tout frein, sauf celui des châtiments, vous aboutirez par la force des choses à un bouleversement universel et à la ruine de toutes les institutions : tel est, il est vrai, le but avéré, explicite que poursuivent de leurs efforts beaucoup d'associations communistes et socialistes ; et la secte des francs-maçons n'a pas le droit de se faire étrangère à leurs attentats, puisqu'elle favorise leurs desseins et que sur le terrain des principes elle est entièrement d'accord avec elles. Si ces principes ne produisent pas immédiatement et partout leurs conséquences extrêmes, ce n'est ni à la discipline de la secte ni à la volonté des sectaires qu'il faut l'attribuer ; mais d'abord à la vertu de cette divine religion qui ne peut pas être anéantie : puis aussi à l'action des hommes qui, formant la partie la plus saine des nations, refusent de subir le joug des sociétés secrètes et luttent avec courage contre leurs entreprises insensées.

Et plût à Dieu que tous, jugeant l'arbre par ses fruits, sussent reconnaître le germe et le principe des maux qui nous menacent ! Nous avons affaire à un ennemi rusé et fécond en artifices. Il excelle à chatouiller agréablement les oreilles des princes et des peuples, et il a su prendre les uns et les autres par la douceur de ses maximes et l'appât de ses flatteries. &endash; Les princes ? les francs-maçons se sont insinués dans leurs faveurs sous le masque de l'amitié, pour faire d'eux des alliés et de puissants auxiliaires, à l'aide desquels ils opprimeraient plus sûrement les catholiques. Afin d'aiguillonner plus vivement le zèle de ces hauts personnages, ils poursuivent l'Église d'impudentes calomnies. C'est ainsi qu'ils l'accusent d'être jalouse de la puissance des souverains et de leur contester leurs droits. Assurés par cette politique de l'impunité de leur audace, ils ont commencé à jouir d'un grand crédit sur les gouvernements. D'ailleurs, ils se tiennent toujours prêts à ébranler les fondements des empires, à poursuivre, à dénoncer, et même chasser les princes toutes les fois que ceux-ci paraissent user du pouvoir autrement que la secte l'exige. &endash; Les peuples ? ils se jouent d'eux en les flattant par des procédés semblables. Ils ont toujours à la bouche les mots de liberté et de prospérité publique ? A les en croire, c'est l'Église, ce sont les souverains qui ont toujours fait obstacle à ce que les masses fussent arrachées à une servitude injuste et délivrées de la misère. Ils ont séduit le peuple par ce langage fallacieux, et excitant en lui la soif des changements, ils l'ont lancé à l'assaut des deux puissances ecclésiastique et civile. Toutefois, la réalité des avantages qu'on espère demeure toujours en dessous de l'imagination et de ses désirs. Bien loin d'être devenu plus heureux, le peuple, accablé par une oppression et une misère croissantes, se voit encore dépouillé des consolations qu'il eût pu trouver avec tant de facilité et d'abondance dans les croyances et pratiques de la religion chrétienne. Lorsque les hommes s'attaquent à l'ordre providentiellement établi, par une juste punition de leur orgueil ils trouvent souvent l'affliction et la ruine à la place de la fortune prospère sur laquelle ils avaient témérairement compté pour l'assouvissement de tous leurs désirs.

Quant à l'Église, si, par-dessus toute chose, elle ordonne aux hommes d'obéir à Dieu, souverain Seigneur de l'univers, l'on porterait contre elle un jugement calomnieux si on croyait qu'elle est jalouse de la puissance civile ou qu'elle songe à entreprendre sur les droits des princes. Loin de là, elle met sous la sanction du devoir et de la conscience l'obligation de rendre à la puissance civile ce qui lui est légitimement dû. Si elle fait découler de Dieu lui-même le droit de commander, il en résulte pour l'autorité un surcroît considérable de dignité et une facilité plus grande de se concilier l'obéissance, le respect et le bon vouloir des citoyens.

D'ailleurs, toujours amie de la paix, c'est elle qui entretient la concorde, en embrassant tous les hommes dans la tendresse de sa charité maternelle. Uniquement attentive à procurer le bien des mortels, elle ne se lasse pas de rappeler qu'il faut toujours tempérer la justice par la clémence, le commandement par l'équité, les lois par la modération : que le droit de chacun est inviolable : que c'est un devoir de travailler au maintien de l'ordre et de la tranquillité générale, et de venir en aide, dans toute la mesure du possible, pare la charité privée et publique, aux souffrances des malheureux. Mais, pour employer fort à propos les paroles de saint Augustin, « ils croient ou ils cherchent à faire croire que la doctrine chrétienne est incompatible avec le bien de l'État, parce qu'ils veulent fonder l'État non sur la solidité des vertus, mais sur l'impunité des vices ». &endash; Si tout cela était mieux connu, princes et peuple feraient preuve de sagesse politique et agiraient conformément aux exigences du salut général, en s'unissant à l'Église pour résister aux attaques des francs-maçons, au lieu de s'unir aux francs-maçons pour combattre l'Église.

Quoi qu'il puisse en advenir, Notre devoir est de nous appliquer à trouver des remèdes proportionnés à un mal si intense et dont les ravages ne sont que trop étendus. Nous le savons : notre meilleur et plus solide espoir de guérison est dans la vertu de cette religion divine que les francs-maçons haïssent d'autant plus qu'ils la redoutent davantage. Il importe donc souverainement de faire d'elle le point central de la résistance contre l'ennemi commun. Aussi, tous les décrets portés par les Pontifes romains, Nos prédécesseurs, en vue de paralyser les efforts et les tentatives de la secte maçonnique ; toutes les sentences prononcées par eux pour détourner les hommes de s'affilier à cette secte ou pour les déterminer à en sortir, Nous entendons les ratifier à nouveau, tant en général qu'en particulier. Plein de confiance à cet égard dans la bonne volonté des chrétiens, Nous les supplions, au nom de leur salut éternel, et Nous leur demandons de se faire une obligation sacrée de conscience de ne jamais s'écarter, même d'une seule ligne, des prescriptions promulguées à ce sujet par le Siège apostolique.

Quant à vous, Vénérables Frères, Nous vous prions, Nous vous conjurons d'unir vos efforts aux Nôtres, et d'employer tout votre zèle à faire disparaître l'impure contagion du poison qui circule dans les veines de la société et l'infecte tout entière. Il s'agit pour vous de procurer la gloire de Dieu et le salut du prochain. Combattant pour de si grandes causes, ni le courage ni la force ne vous feront défaut. Il vous appartient de déterminer dans votre sagesse par quels moyens plus efficaces vous pourrez avoir raison des difficultés et des obstacles qui se dresseront contre vous. &endash; Mais, puisque l'autorité inhérente à notre charge Nous impose le devoir de vous tracer Nous même la ligne de conduite que nous estimons la meilleurs, Nous vous dirons :

En premier lieu, arrachez à la Franc-Maçonnerie le masque dont elle se couvre et faites-la voir telle qu'elle est.

Secondement, par vos discours et par des lettres pastorales spécialement consacrées à cette question, instruisez vos peuples : faites-leur connaître les artifices employés par ces sectes pour séduire les hommes et les attirer dans leurs rangs, &endash; la perversité de leurs doctrines &endash; l'infamie de leurs actes. Rappelez leur qu'en vertu des sentences plusieurs fois portées par Nos prédécesseurs, aucun catholique, s'il veut rester digne de ce nom et avoir de son salut le souci qu'il mérite, ne peut, sous aucun prétexte, s'affilier à la secte des francs-maçons. Que personne donc ne se laisse tromper par de fausses apparences d'honnêteté. Quelques personnes peuvent en effet croire que, dans les projets des francs-maçons, il n'y a rien de formellement contraire à la sainteté de la religion et des mŠurs.

Toutefois, le principe fondamental qui est comme l'âme de la secte étant condamné par la morale, il ne saurait être permis de se joindre à elle, ni de lui venir en aide d'aucune façon.

Il faut ensuite, à l'aide de fréquentes instructions et exhortations, faire en sorte que les masses acquièrent la connaissance de la religion.

Dans ce but, Nous conseillons très fort d'exposer, soit par écrit, soit de vive voix et dans des discours ad hoc, les éléments des principes sacrés qui constituent la philosophie chrétienne. Cette dernière recommandation a surtout pour but de guérir par une science de bon aloi les maladies intellectuelles des hommes et de les prémunir tout à la fois contre les formes multiples de l'erreur et contre les nombreuses séductions du vice, surtout en un temps où la licence des écrits va de pair avec une insatiable avidité d'apprendre. L'Šuvre est immense ; pour l'accomplir, vous avez avant tout l'aide de la collaboration de votre clergé, si vous donnez tous vos soins à le bien former et à le maintenir dans la perfection de la discipline ecclésiastique et dans la science des saintes lettres.

Toutefois, une cause si belle et d'une si haute importance appelle à son secours le dévouement intelligent des laïques qui unissent les bonnes mŠurs et l'instruction à l'amour de la religion et de la patrie. Mettez en commun, Vénérables Frères, les forces de ces deux ordres, et donnez tous vos soins à ce que les hommes connaissent à fond l'Église catholique et l'aiment de tout leur cŠur. Car, plus cette connaissance et cet amour grandiront dans les âmes, plus on prendra en dégoût les sociétés secrètes, plus on sera empressé de les fuir.

Nous profitons à dessein de la nouvelle occasion qui Nous est offerte d'insister sur la recommandation déjà faite par Nous en faveur du tiers ordre de saint François à la discipline duquel Nous avons apporté de sages tempéraments. Il faut mettre un grand zèle à le propager et à l'affermir. Tel en effet qu'il a été établi par son auteur, il consiste tout entier en ceci : attirer les hommes à l'amour de Jésus-Christ, à l'amour de l'Église, à la pratique des vertus chrétiennes. Il peut donc rendre de grands services pour aider à vaincre la contagion de ces sectes détestables. Que cette sainte association fasse donc tous les jours de nouveaux progrès. Parmi les nombreux avantages que l'on peut attendre d'elle, il en est un qui prime tous les autres ; cette association est une véritable école de liberté, de fraternité, d'égalité, non selon l'absurde façon dont les francs-maçons entendent ces choses, mais telles que Jésus-Christ a voulu en enrichir le genre humain et que saint François les a mises en pratique.

Nous parlons donc ici de la liberté des enfants de Dieu, au nom de laquelle Nous refusons d'obéir à ces maîtres iniques qui s'appellent Satan et les mauvaises passions. Nous parlons de la fraternité qui Nous rattache à Dieu, commun Créateur et Père de tous les hommes. Nous parlons de l'égalité qui, établie sur les fondements de la justice et de la charité, ne rêve pas de supprimer toute distinction entre les hommes, mais excelle à faire, de la variété des conditions et des devoirs de la vie, une harmonie admirable et une sorte de merveilleux concert dont profitent naturellement les intérêts et la dignité de la vie civile.

En troisième lieu, une institution due à la sagesse de nos pères et momentanément interrompue par le cours des temps pourrait, à l'époque où nous sommes, redevenir le type et la forme de créations analogues. Nous voulons parler de ces corporations ouvrières, destinées à protéger, sous la tutelle de la religion, les intérêts du travail et les mŠurs des travailleurs. Si la pierre de touche d'une longue expérience avait fait apprécier à nos ancêtres l'utilité de ces associations, notre âge en retirerait peut-être de plus grands fruits, tant elles offrent de précieuses ressources pour combattre avec succès et pour écraser la puissance des sectes.

Ceux qui n'échappent à la misère qu'au prix du labeur de leurs mains, en même temps que, par leur condition, ils sont souverainement dignes de la charitable assistance de leurs semblables, sont aussi les plus exposés à être trompés par les séductions et les ruses des apôtres du mensonge. Il faut donc leur venir en aide avec une très grande habileté et leur ouvrir les rangs d'associations honnêtes pour les empêcher d'être enrôlés dans les mauvaises. En conséquence, et pour le salut du peuple, Nous souhaitons ardemment de voir se rétablir, sous les auspices et le patronage des évêques ces corporations appropriées aux besoins du temps présent. Ce n'est pas pour nous une joie médiocre d'avoir vu déjà se constituer en plusieurs lieux des associations de ce genre, ainsi que des sociétés de patrons, le but des unes et des autres étant de venir en aide à l'honorable classe des prolétaires, d'assurer à leurs familles et à leurs enfants le bienfait d'un patronage tutélaire, de leur fournir les moyens de garder, avec de bonnes mŠurs, la connaissance de la religion et l'amour de la piété. &endash; Nous ne saurions ici passer sous silence une société qui a donné tant d'exemples admirables et qui a si bien mérité des classes populaires ; Nous voulons parler de celle qui a pris le nom de son père, saint Vincent de Paul. On connaît assez les Šuvres accomplies par cette société et le but qu'elle se propose. Les efforts de ses membres tendent uniquement à se porter par une charitable initiative au secours des pauvres et des malheureux, ce qu'ils font avec une merveilleuse sagacité et une non moins admirable modestie. Mais, plus cette société cache le bien qu'elle opère, plus elle est apte à pratiquer la charité chrétienne et à soulager les misères des hommes.

Quatrièmement, afin d'atteindre plus aisément le but de nos désirs, Nous recommandons avec une nouvelle instance à votre foi et à votre vigilance la jeunesse qui est l'espoir de la société.

Appliquez à sa formation la plus grande partie de vos sollicitudes pastorales. Quels qu'aient déjà pu être à cet égard votre zèle et votre prévoyance, croyez que vous n'en ferez jamais assez pour soustraire la jeunesse aux écoles et aux maîtres près desquels elle serait exposée à respirer le souffle empoisonné des sectes.

Parmi les prescriptions de la doctrine chrétienne, il en est une sur laquelle devront insister les parents, les pieux instituteurs, les curés, sous l'impulsion de leurs évêques.

Nous voulons parler de la nécessité de prémunir leurs enfants ou leurs élèves contre les sociétés criminelles, en leur apprenant de bonne heure à se défier des artifices perfides et variés à l'aide desquels leurs prosélytes cherchent à enlacer les hommes. Ceux qui ont charge de préparer les jeunes gens à recevoir les sacrements comme il faut, agiraient sagement s'ils amenaient chacun d'eux à prendre la ferme résolution de ne s'agréger à aucune société à l'insu de leurs parents ou sans avoir consulté leur confesseur.

Du reste, Nous savons très bien que nos communs labeurs pour arracher du champ du Seigneur ces semences pernicieuses seraient tout à fait impuissants si, du haut du ciel, le Maître de la vigne ne secondait nos efforts. Il est donc nécessaire d'implorer son assistance et son secours avec une grande ardeur et par des sollicitations réitérées, proportionnées à la nécessité des circonstances et à l'intensité du péril. Fière de ses précédents succès, la secte des francs-maçons lève insolemment la tête et son audace semble ne plus connaître aucune borne. Rattachés les uns aux autres par le lien d'une fédération criminelle et de leurs projets occultes, ses adeptes se prêtent un mutuel appui et se provoquent entre eux à oser et à faire le mal.

A une si violente attaque doit répondre une défense énergique. Que les gens de bien s'unissent donc, eux aussi, et forment une immense coalition de prières et d'efforts. En conséquence, Nous leur demandons de faire entre eux, pour la concorde des esprits et des cŠurs, une cohésion qui les rendent invincibles contre les assauts des sectaires. En outre, qu'ils tendent vers Dieu des mains suppliantes et que leurs gémissements persévérants s'efforcent d'obtenir la prospérité et les progrès du christianisme, la paisible jouissance pour l'Église de la liberté nécessaire, le retour des égarés au bien, le triomphe de la vérité sur l'erreur, de la vertu sur le vice.

Demandons à la Vierge Marie, Mère de Dieu, de se faire notre auxiliaire et notre interprète. Victorieuse de Satan dès le premier instant de sa conception, qu'elle déploie sa puissance contre les sectes réprouvées qui font si évidemment revivre parmi nous l'esprit de révolte, l'incorrigible perfidie et la ruse du démon. &endash; Appelons à notre aide le prince des milices célestes saint Michel, qui a précipité dans les enfers les anges révoltés : puis saint Joseph, l'époux de la très sainte Vierge, le céleste et tutélaire patron de l'Église catholique, et les grands apôtres saint Pierre et saint Paul, ces infatigables semeurs et ces champions invincibles de la foi catholique. Grâce à leur protection et à la persévérance de tous les fidèles dans la prière, Nous avons la confiance que Dieu daignera envoyer un secours opportun et miséricordieux au genre humain en proie à un si grand danger.

En attendant, comme gage des dons célestes et comme témoignage de Notre bienveillance, Nous vous envoyons du fond du cŠur la bénédiction apostolique, à vous, Vénérables frères, ainsi qu'au clergé et aux peuples confiés à votre sollicitude.

Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 20 avril 1884, de Notre pontificat la septième année.

LÉON XIII, PAPE

 

Le texte qui suit est traduit du Journal de Rome.

 

 

DE LA SECTE DES FRANCS-MAÇONS

INSTRUCTION DE LA SAINTE INQUISITION ROMAINE ET UNIVERSELLE A TOUS LES ÉVÊQUES DU MONDE CATHOLIQUE

 

Pour détourner les maux très graves portés à l'Église et à tous les ordres de citoyens par la secte des maçons et les autres qui sont nées d'elle, N. S. -P. le Pape Léon XIII, dans une sage intention, a récemment adressé à tous les évêques du monde entier la lettre encyclique Humanum genus. En cette lettre, il a découvert les doctrines de telles sectes, leur fin, leurs desseins ; il raconte le soin qu'ont pris les Pontifes romains pour délivrer la famille humaine d'une peste si néfaste ; à son tour, Lui-même Il imprime à ces sectes la marque de la condamnation et de la censure, et enseigne aussi par quel moyen, par quelles armes il faut les combattre, par quels remèdes apportés aux blessures qu'elles ont faites, il faut les guérir. &endash; Comme sa Sainteté a considéré que ces soins devaient enfin espérer des fruits salutaires, et que dans une affaire de si grande importance les Šuvres, les conseils, les travaux de tous les pasteurs de l'Église devaient être employés en un effort unanime, il a chargé cette suprême Congrégation de la Sainte Inquisition universelle et romaine de proposer aux pasteurs les mesures les plus efficaces et les plus opportunes. En vertu de ce mandat du Souverain Pontife, comme il est juste, les Éminentissimes cardinaux faisant avec moi fonction d'inquisiteurs généraux ont cru devoir donner cette instruction à tous les évêques et aux autres ordinaires de diocèses :

1° Le très clément Pontife désirant surtout pourvoir au salut des âmes, suivant les traces de notre Sauveur Jésus-Christ, qui n'est pas venu appeler les justes, mais les pécheurs à la pénitence, invite de sa voix paternelle tous ceux qui se sont enrôlés dans la Maçonnerie et dans les autres sectes condamnées, à purger les souillures de leur âme et à rentrer au sein de la divine miséricorde. A cette fin, usant de la même largesse que son prédécesseur Léon XII, dans le délai d'une année complète, à dater de la publication régulière des lettres apostoliques ci-dessus mentionnées, en chaque diocèse, il suspend l'obligation de dénoncer les coryphées et les chefs occultes de ces sectes, et aussi la réserve des censures, accordant à tous les confesseurs approuvés par les ordinaires des lieux la faculté d'absoudre de ces censures et de réconcilier à l'Église tous ceux qui sont vraiment venus à résipiscence et ont quitté les sectes. &endash; Il appartient donc aux pasteurs sacrés d'annoncer cette générosité du Souverain Pontife aux fidèles confiés à leurs soins. Ils feraient aussi une chose digne de leur sollicitude pastorale si, dans le cours de cette année, que le pontife veut consacrer à une clémence spéciale, par des exercices sacrés en forme de mission, ils excitaient leurs ouailles à méditer les vérités éternelles et à rentrer dans la rectitude d'esprit.

 

2° L'intention de Sa Sainteté est que l'encyclique soit publiée avec le plus grand zèle, afin que tous les chrétiens comprennent quel terrible poison circule parmi eux, quelle perte menace eux et leurs enfants s'ils ne prennent les précautions opportunes. Il faudra donc donner les soins les plus exacts et les plus actifs à appliquer les remèdes proposés par le Pontife et ceux que la prudence de chacun conseillera. &endash; Il faut avant tout exciter à cette fin l'ingéniosité et le zèle des curés ; puis, faire aussi un appel général à tous ceux à qui Dieu, auteur de tout bien, a accordé la faculté de parler et d'écrire, et à ceux aussi à qui est remise la charge d'annoncer la parole divine, de purifier le peuple chrétien de ses fautes ou d'instruire la jeunesse, afin qu'eux aussi consacrent leurs travaux à démasquer la Maçonnerie, les décrets impies et les manŠuvres néfastes des sociétés condamnées, et à ramener dans la voie du salut ceux qui, soit par témérité ou imprudence, soit par réflexion et de propos délibéré, y ont accédé, et à donner les avis préalables à ceux qui ne sont pas encore tombés dans ces pièges.

 

3° Afin qu'il n'y ait lieu à aucune erreur, lorsqu'il faudra déterminer auxquelles de ces sectes pernicieuses s'appliquent les censures, et lesquelles tombent sous une simple interdiction, il est certain absolument que la Maçonnerie et les autres sectes qui sont désignées au chap. II, no. 4 de la constitution pontificale Apostolicæ Sedis, sont frappés de l'excommunication latæ sententiæ, aussi bien que celles qui menacent l'Église ou les puissances légitimes, qu'elles agissent ouvertement ou secrètement, qu'elles exigent ou non de leurs affiliés le serment de garder le secret.

 

4° Outre celles-là il y a d'autres sectes interdites et qu'il faut éviter sous peine de péché grave, au nombre desquelles il faut compter principalement celles qui exigent de leurs membres un secret qu'il ne faut dévoiler à personne, une obéissance sans réserve devant être prêtée à des chefs occultes. Il faut en outre prendre garde qu'il y a quelques sociétés qui, bien qu'on ne puisse définir avec certitude si elles se rattachent, oui ou non, à celles dont nous avons parlé, sont pourtant suspectes et pleines de périls, tant pour les doctrines qu'elles professent que pour leur mode d'action et pour les chefs autour desquels elles se groupent et qui les commandent. Il faut que les ministres du culte, qui doivent avoir surtout à cŠur la fidélité intacte au Christ et l'intégrité des mŠurs, sachent en détourner et en écarter leur troupeau, et cela avec d'autant plus de soin que l'apparence d'honnêteté conservée par celles-là peut rendre le péril caché en elles plus difficile à apercevoir et à prévenir de la part d'hommes simples ou de jeunes gens.

 

5° Donc les pasteurs sacrés feront une chose extrêmement utile aux fidèles et agréable à Sa Sainteté si, au mode ordinaire et usité d'instruction publique, qu'il faut conserver absolument, ils ajoutent celui qui est d'usage pour défendre les vérités catholiques, et qui est si propre à dissiper les erreurs dont l'encyclique Humanum genus déplore la propagation plus large, au grave détriment des âmes. Ce mode d'instruction publique sera très salutaire au peuple chrétien, et aussi, par la réfutation des erreurs, exposera clairement et méthodiquement la force et l'utilité de la doctrine chrétienne, excitera dans l'âme des auditeurs l'amour de l'Église catholique, qui conserve la doctrine en son intégrité et en sa pureté.

6° Puisque, grâce aux détestables artifices et aux perfidies des sectes, des jeunes gens, des pauvres artisans et des ouvriers se laissent facilement séduire et prendre, il faut leur appliquer des soins spéciaux. En ce qui concerne la jeunesse, il faut tâcher surtout, dès les premières années, tant dans l'enceinte de la famille que dans les temples et les écoles, de la former attentivement à la foi et aux mŠurs chrétiennes, de l'instruire abondamment des moyens de se garder des pièges dressés par les sectes ténébreuses, lui montrant que si elle tombe dans ces filets, elle devra par la suite servir honteusement des maîtres iniques, pour la perte du salut éternel et de la dignité humaine. On pourvoira très utilement à la sauvegarde des jeunes gens en provoquant chez eux des sociétés placées sous le patronage de la Bienheureuse Vierge ou d'un autre patron céleste. Dans ces réunions, comme en des gymnases, surtout si des prêtres ou des laïques remarquables par leur sagesse et leur habileté sont placés à leur tête, les jeunes gens prendront le goût de cultiver la vertu, de professer ouvertement la religion, méprisant la dérision des impies, et, en même temps, s'accoutumeront à détester tout ce qui est contraire à la vérité catholique et à la sainteté.

 

7° Il est aussi très utile que les pères d'un côté, de l'autre les mères de famille s'unissent par un pacte fraternel à cette fin, de sorte que leurs forces unies leur permettent de se dévouer plus convenablement et de pouvoir plus efficacement au salut éternel et à la bonne éducation de leurs enfants. Plusieurs associations de ce genre, soit d'hommes, soit de femmes, se sont constituées en divers endroits, sous la tutelle de quelque puissance céleste, et produisent d'heureux fruits de religion et de piété.

8° Au sujet des artisans et des ouvriers, parmi lesquels ont coutume de faire leurs recrues ceux qui ont pour but de miner les fondements de la religion, les ministres du culte doivent mettre sous leurs yeux ces antiques collèges d'artisans ou ces universités ou corporations d'ouvriers, qui, sous un patronage céleste, au temps passé, ont été l'illustre ornement des cités, et ont contribué à l'accroissement des arts plus relevés ou plus humbles. Il faut restaurer ces réunions et d'autres encore, parmi les hommes même qui se donnent aux affaires du commerce ou aux études supérieures et il faut que les associés soient soigneusement instruits et dressés aux devoirs de la religion, et en même temps se prêtent une aide mutuelle dans les nécessités humaines que la maladie, la vieillesse ou la pauvreté ont coutume d'apporter. Les présidents de ces associations veilleront attentivement à ce que les associés se fassent remarquer par la probité de leurs mŠurs, leur habileté technique dans leurs travaux, leur docilité et leur assiduité dans le travail, afin qu'ils puissent plus facilement se procurer ce qui est nécessaire à la vie. Les ministres du culte ne refuseront pas de veiller sur des sociétés de ce genre, d'en proposer ou d'en approuver les règlements, de leur concilier la générosité des riches, de les prendre sous leur patronage, de les aider de leurs soins.

 

9° Leur bienveillance particulière ne manquera pas à cette admirable Société des prières et des Šuvres, qui, naissant en quelques endroits, a déjà commencé à prospérer en d'autres. Il faut veiller avec un zèle suprême à y inscrire tous ceux qui ont de bons sentiments religieux. Comme son but est d'encourager et de développer, par un général effort des âmes, dans toute l'étendue de l'Église universelle, les Šuvres de religion et de piété, de s'appliquer assidûment à apaiser la colère divine, on comprend sans peine de quelle utilité elle sera en ces temps malheureux. Parmi les formules de prières, les évêques recommanderont surtout celle qui tire son nom du Rosaire de la Mère de Dieu, celle que Notre Saint Père, il y a peu de temps, a recommandée et si instamment conseillée, avec de si amples éloges comme étant la plus importante. Parmi les Šuvres de piété, qu'ils donnent la préférence à celle du tiers ordre de saint François : ils tâcheront d'y faire inscrire le plus d'adhésions possible, comme à celle de saint Vincent de Paul ou des Enfants de Marie, afin que les Šuvres éclatantes accomplies par elles, aux applaudissements du monde catholique et au bénéfice des âmes, se répandent chaque jour davantage.

 

10° Enfin, il serait très bon, partout où les conditions des lieux et des personnes le permettent, de faire naître des académies catholiques, de tenir ces utiles assemblées ou congrès, comme on les appelle, où sont envoyés les hommes d'élite d'une ou de plusieurs régions : il faut que les pasteurs ne dédaignent pas de les honorer de leur présence, afin que sous leurs auspices on puisse adopter les résolutions propres à développer le mouvement catholique, les mesures les plus utiles à l'intérêt de la religion et à l'intérêt public. Il ne serait pas déplacé que ceux qui, par des écrits suivis et par leurs travaux, ont acquis cette spécialité de défendre les droits de Dieu et de l'Église, de couper dans leur racine les nouvelles erreurs et calomnies qui prennent chaque jour naissance, s'associassent pour lutter, sous la conduite des évêques.

Si toutes les forces qui, grâce à Dieu, sont encore vives et actives dans l'Église, concouraient au même but, il est impossible que des fruits très abondants n'en soient pas recueillis pour racheter la société actuelle des hommes de la contagion funeste des sectes iniques, et pour la rendre à la liberté chrétienne.

 

11° Le but qu'on se propose aujourd'hui ne sera pleinement réalisé que si les forces s'unissent, si les archevêques prennent avec leurs suffragants les résolutions et les mesures sur ce qu'il convient de faire pour répondre aux désirs du pasteur suprême.

Il est dans les vŠux de celui-ci et de cette suprême congrégation que chacun d'eux, sans délai et à l'avenir, chaque fois qu'il fera un rapport sur l'état des diocèses, n'omette pas d'indiquer ce que, en particulier ou d'accord avec ses collègues en épiscopat, il aura fait, et quels résultats son zèle aura obtenus.

Donné à Rome, de la chancellerie du Saint Office, le 10 mai, 1884.

 

Raphaël card. MONACO